LE SÉMINAIRE ET SES ÉCOLES
Il serait peut-être paradoxal de fêter une institution qui n’existe plus telle quelle; en revanche, il m’apparait important de commémorer l’implantation en 1863 et le développement subséquent d’un enseignement – qu’on l’appelle classique ou, mieux, humaniste – qui s’est ouvert à de multiples disciplines et dont le Séminaire de Rimouski a été l’un des principaux promoteurs dans la région.
À mon avis, quatre décennies (les années 1850-1870 et les années 1920-1940) ont particulièrement contribué à façonner la personnalité de l’institution.
1. La fondation (1850-1870)
Il faut regarder au-delà de la longue querelle soulevée à propos des fondateurs de l’institution (Cyprien Tanguay, Georges Potvin, Jean Langevin). Tous les trois ont joué un rôle particulier.
L’abbé Cyprien Tanguay a été l’instigateur du Collège industriel qui ouvre ses portes en 1855. Dès 1853, de concert avec un groupe de citoyens, il demande l’autorisation de fonder une institution « où l’on instruira les jeunes gens qui se destinent au commerce, à l’agriculture, aux arts mécaniques et à la navigation ». Surtout, le 12 janvier 1854, dans une lettre-prospectus adressée à l’archevêque de Québec, il décrit de long en large le plan des études : enseignement des matières commerciales, de l’agriculture, « des arts du charpentier, du menuisier, du maçon-constructeur et du forgeron-mécanicien ». Les cours seront à la fois théoriques et pratiques. Il élabore la mise en place jusqu’en 1860.
Ce beau plan ne se réalisera pas comme prévu et le Collège industriel végètera jusqu’en 1862; les adversaires de l’abbé Tanguay diront même que son collège a fait faillite. Néanmoins il est continuellement reconnu par les autorités gouvernementales et reçoit des subventions chaque année.
En 1862-1863, l’abbé Georges Potvin relance l’institution et, par l’introduction de l’enseignement du latin en septembre 1863, change l’orientation du Collège industriel (en ce moment il est plutôt un collège commercial) qui devient un collège classique. Jusqu’en 1867, son dynamisme et son travail acharné assurent au Collège Saint-Germain un avenir fragile mais viable.
Dès son arrivée en1867 comme premier évêque de Rimouski, Mgr Jean Langevin fait du collège une de ses priorités. Il pourvoit immédiatement à son financement grâce à une quête annuelle, puis, en 1868, il annonce l’érection d’un séminaire (il a en vue la préparation à l’état ecclésiastique, aux professions libérales et aux métiers) et, en même temps, demande une contribution annuelle de cinq sous par communiants. Un nouveau pas est franchi le 4 novembre 1870 quand il érige le collège en séminaire diocésain sous le nom de Séminaire de Saint-Germain de Rimouski. L’institution est sous la dépendance de l’évêque (avec quelques nuances qui seront précisées plus tard) qui s’engage à le financer et à lui fournir le corps professoral nécessaire (et bon marché !).
De cette période, je retiens les éléments primordiaux suivants :
L’année 1863 est cruciale. Non seulement l’apparition du latin marque le début de l’enseignement classique ou humaniste, mais tout est renouvelé : nouveaux locaux (sacristie de l’ancienne église) pour les classes et le pensionnat, nouvelle direction (corporation interne composée du curé comme supérieur, du directeur, du procureur et du plus ancien professeur), professeurs ecclésiastiques plus nombreux (c’est relatif), règlement plus précis, appel à la générosité de la population du comté de Rimouski (Livre des fondateurs), etc. On peut parler d’une renaissance, si fragile soit-elle, et des modestes début d’une oeuvre qui fera honneur à Rimouski.
Le collège et surtout le séminaire sont une oeuvre régionale. Les promoteurs du collège et encore plus ceux du séminaire prennent soin de souligner que leur institution desservira l’ensemble du comté puis du diocèse de Rimouski : n’était-ce pas la condition sine qua non de survie ? Et tous les diocésains, on l’a vu, sont mis à contribution.
L’institution est liée de très près aux besoins de sa région. C’est le but premier du projet de collège industriel. Le collège classique n’abandonne pas la polyvalence du premier collège. Il offre à côté du cours classique un cours commercial qui prépare à plusieurs emplois; pendant les premières années, il faut même passer par ce cours pour accéder aux humanités. Le cours existe jusqu’en 1916 où le manque d’espace oblige à le retirer pendant quelques années. Au premier temps du renouveau, le collège a fait beaucoup d’efforts pour donner un cours d’agriculture; en 1862, on parle même d’une « chaire d’agriculture », mais l’impossibilité d’avoir une terre pour les travaux pratiques oblige à sacrifier cet enseignement. Il est intégré au cours commercial sous forme de « Notions d’agriculture ».
Le collège de 1862 comme le séminaire sont une oeuvre d’Église, appuyée par la générosité des diocésains, et le clergé s’implique de plus en plus dans cette oeuvre éducative qui prend du temps à s’envoler mais qui survit à toutes les vicissitudes (l’incendie de 1881, par exemple).
2. Une « université rurale » à Rimouski (1920-1940) ?
Pendant ces années, la conjoncture socio-économique pèse beaucoup sur l’orientation future du Séminaire. L’« empire » de Jules-A. Brillant se constitue autour de deux grands projets : la Compagnie de Pouvoir du Bas Saint-Laurent et la Corporation de Téléphone de Québec, qui exigent des techniciens spécialisés. Le nouvel évêque de Rimouski, Mgr Georges Courchesne, un éducateur chevronné, est à l’affût de moyens d’augmenter l’instruction de ses diocésains. Enfin, après des années de controverses et avec une dette accablante, le Séminaire entre en 1925 dans un nouvel édifice spacieux et moderne. Comment le rendre rentable ?
Depuis l’abandon du cours commercial, plusieurs militent pour que le Petit Séminaire soit une institution conforme aux « dispositions du Concile de Trente et du Droit canonique » (tout en continuant à éduquer les futurs professionnels !). Aussi, quand le conseil du Séminaire propose d’offrir de nouveau un cours commercial, à la fois pour répondre aux demandes du milieu et pour rentabiliser le plus d’espace possible, il se bute à une forte opposition d’une minorité de ses membres (et de la communauté, sans doute). Au nom des opposants, l’abbé Samuel Langis demande même à Mgr Léonard de « bloquer énergiquement l’affaire, en refusant l’approbation à la résolution du Conseil » (lettre du 9 août 1924). L’évêque refuse le veto et, tout en disant partager l’opinion de la minorité du conseil, il demande à celui-ci de prendre ses responsabilités et de décider pour le meilleur bien de la maison. Le chemin est ouvert pour intégrer de nouveaux cours à l’enseignement du Séminaire.
À partir de septembre 1926 est offert un cours commercial de deux années « consacrées exclusivement à l’étude pratique des affaires pour ceux qui ne veulent suivre qu’un cours commercial ». Ce cours conduira plus tard à l’ouverture de l’École de commerce qui aura son propre édifice et un conseil d’administration. Elle administrera l’École normale Tanguay. La même année 1926, le Séminaire inaugure, avec la collaboration du gouvernement provincial, une école moyenne d’agriculture. Le cours de deux ans (une partie de l’année seulement) est à la fois théorique et pratique. On construit un nouvel édifice et la terre du Séminaire est mise à contribution.
Le Séminaire franchit une nouvelle étape en 1936 avec la fondation de l’École des arts et métiers. L’idée, ancienne, est lancée par Mgr Léonard à l’occasion de la bénédiction de l’École d’agriculture de Rimouski. L’homme d’affaires Jules-A. Brillant saute sur l’occasion et pendant dix ans, avec l’appui de Mgr Courchesne et des autorités du Séminaire, il s’en fait le promoteur dans la région et auprès du gouvernement. L’école ouvre ses portes à l’hiver 1936. Elle a sa propre corporation et son conseil d’administration, mais le Séminaire, en plus de fournir les locaux (une bâtisse construite par Brillant et cédée au Séminaire), participe à l’encadrement des étudiants et à l’enseignement. L’école se démarque de celles de Québec et de Montréal en mettant l’accent sur la pratique et une formation générale diversifiée. Elle devient École technique en 1948 et Institut de technologie en 1957. Une École de marine lui est adjointe en 1943.
Plus que jamais le Séminaire est une institution régionale ouverte aux besoins du milieu et une oeuvre d’Église. De ces écoles si diverses le Séminaire est la maison mère. Le plus souvent, il en a été l’initiateur et il a été l’élément essentiel de leur mise en place. Si les corporations idoines s’occupent de l’administration des finances et des programmes, le Séminaire, en plus de fournir des locaux (y compris pour le pensionnat et la cafétéria) selon les besoins, prend charge de la discipline et de la vie communautaire. Des prêtres font partie des conseils d’administration, sont directeurs, surveillants, professeurs de matières profanes mais surtout de religion et de sciences humaines. Il offre en définitive un milieu de vie, très riche culturellement, qui met ceux qui le désirent en relation avec des disponibilités pour dépasser la simple spécialisation.
Une ligne directrice permet de corriger l’apparence d’éparpillement. C’est le concept d’« université rurale ». Mgr Courchesne lance l’idée en 1936 :
Le temps vient où notre agriculture aura ses chefs au sein de la profession, où le commerce local ira moins au petit bonheur des improvisations, où l’artisanat de village comptera des techniciens instruits et ouverts même à la notion d’un art, cependant que le curé et les professionnels auront eu de bonne heure l’attention attirée par la noblesse des métiers manuels conduits avec esprit et faits avec amour. Et c’est au Séminaire diocésain, prenant figure « d’Université rurale », que l’on devra beaucoup de ce renouveau bienfaisant.
Il ne s’agit pas d’une université au sens historique du mot, mais d’un centre d’éducation populaire expérimenté au Danemark (et en Belgique sous le titre d’université du travail).
L’abbé Antoine Gagnon, à qui s’est confié Mgr Courchesne, va se faire le chantre de ce projet et il tente l’expérience d’une certaine façon à l’École des arts et métiers en offrant des cours manuels aux étudiants du cours classique et du cours commercial, et des cours du soir à la population. Les Amis de l’art et la première bibliothèque logent aussi à cette école. Nommé directeur artistique du Petit Séminaire en 1938, l’abbé Georges Beaulieu développe, avec la collaboration de prêtres et de laïcs, la vie culturelle qui rayonne dans le milieu étudiants et dans toute la région (la Société des concerts, les Compagnons de Saint-Laurent, les Jeunesses musicales, etc.). En 1937, l’ouverture du poste CJBR permet au Séminaire de rayonner d’une nouvelle façon (L’heure du Séminaire, les fameuses causeries de l’abbé Alphonse Fortin, etc.) L’École d’agriculture fournit des aumôniers à l’UCC et collabore à la diffusion des cours aux agriculteurs. Et ce ne sont là que quelques exemples du mouvement vers l’éducation populaire. La notion d’université rurale était trop peu connue pour que le Séminaire s’en attribue le nom.
Les changements survenus pendant la guerre et l’après-guerre changent complètement la donne. L’enseignement au Séminaire (Petit et Grand) et dans les écoles s’oriente de plus vers le pré-universitaire et même l’universitaire. Les liens entre la maison mère et ses écoles demeurent toujours mais dans une autre perspective. Pendant les années 1950, l’institution se présente désormais comme Le Séminaire de Rimouski et ses écoles. Inconsciemment la table est mise pour les grands bouleversements des années 1960.
Nive Voisine
février 2012